15 octobre, 2005



LA MUSIQUE EN MONGOLIE

photo 1: Budgee (a gauche) et son ensemble de musique traditionnel mongole
photo 2: Budgee a Oulan-Bator

Extraits de l'entretien realise avec Budgee Magsarjav, etudiante en musicologie et morin khuur a la faculte de musique de Oulan-Bator.

Musique Vagabonde: Est-ce que tu peux nous expliquer un peu ton parcours? Comment as-tu commence la musique et quelles etudes fais-tu aujourd'hui?

Budgee: Mon pere est mongoliste, c'est a dire qu'il fait des recherches sur la Mongolie, l'histoire, les arts et la culture mongole. C'est pour les recherches qu'il devait effectuer que nous avons decide de nous installer en Mongolie. C'est un grand fan de musique (surtout de musique baroque!), et il a donc decide que j'apprendrais la musique traditionelle mongole. Il voulait que sa petite fille devienne une grande musicienne! J'ai pourtant commence par le ballet! Lorsque j'etais petite fille, je n'avais aucune idee de l'existence du piano, du violon et des autres instruments et tout a coup, a cinq ans, j'ai arrete la danse pour commencer le piano. Ma mere violoniste m'a beaucoup aide pour cela. Je suis entree au conservatoire a 11 ans et j'ai commence le morin khuur (la viele a tete de cheval). L'annee suivante, j'ai commence le violoncelle. Maintenant, je fais des etudes a l'universite. Lorsqu on finit le conservatoire, on entre a l'universite pour continuer jusqu'au magistrat.

MV: De quelle facon te projettes-tu dans la vie professionelle future? Comment se passe la vie professionnelle des musiciens en Mongolie?

B: Les gens sont de plus en plus interesses par la musique traditionelle mongole. Pour preuve, de nos jours, les musiciens traditionnels vont donner des concerts au Japon, en Coree ou en Europe. Les etudiants en musique occidentale, eux, se consacrent plutot aux concours. Mais les concours sont rares et il faut etre les meilleurs! Nous avons ici egalement deux orchestres classique (l'Orchestre Philarmonique et l'Orchestre de l'Opera: beaucoup de musiciens y sont engages) ainsi que l'orchestre d'instruments de musique traditionnel. Sans oublier le grand orchestre du gouvernment (c'est un nouvel orchestre constitue pour l'occasion des fetes nationales), qui comportera 108 musiciens, dont certains jouent des instruments tres anciens. Il y a egalement des ensembles de musique de chambre qui travaillent dans les restaurants. Pour ma part, je n'ai pas specialement envie de devenir musicienne professionnelle. J'aimerais plutot enseigner la musique aux enfants et les rendre capables, par exemple, de distinguer les differences entre la musique romantique et classique, ou encore d'apprecier la musique traditionnelle au lieu d'ecouter la pop ou le rock!

MV: Il y a en ce moment a Oulan-Bator un concours qui reunit les compositeurs actuels mongols. Quelle est la tendance actuelle dans ce domaine? Y a t'il parfois des melanges d'instruments europeens et mongols?

B: Apres la revolution de 1921, la Mongolie a commence a envoyer ses musiciens pour se former en Russie: solfege, harmonie, contrepoint, ecriture et histoire de la musique occidentale. A partir de ce moment la, des compositeurs ont commence a ecrire en utilisant les formes occidentales (concertos, sonates en trois mouvements, etc...) mais avec le style et les modes mongols! On peut remercier la Russie qui grace a son systeme d'ecriture occidental, nous a permit de retranscrire notre musique traditionelle alors que nous n'avions pas de systeme de notation. Maintenant, il y a de moins en moins de musiciens qui vont en Russie pour etudier. C'est l'Europe qui nous interesse davantage! Les jeunes compositeurs d'aujourd'hui s'interessent davantage a la musique "moderne", utilisant percussions, melodies bizzares et casses: les gens ne comprennent pas ce qu'ils veulent dire! C'est comme cela que la musique change et fait entrer de plus en plus de pieces differentes dans le repertoire.

MV: Est-ce que tu vis comme un progres le fait que la Russie ait apporte des harmonies aux melodies populaires mongoles, ou comme le risque que cette musique perde quelque chose dans son essence meme?

B: Je pense qu'il y a un peu des deux. Lorsque l'on acquiert quelque chose d'une part, il y a toujours le risque de perdre quelque chose d'autre part et cela n'est pas propre au seul domaine musical. Mais ce nouveau systeme rend le repertoire plus accessible notamment pour les enfants du XXIe siecle. Ils ne veulent plus ecouter une seule voix qui chante des melodies des montagnes... Et si certains chanteurs de rock integrent des melodies traditionnelles mongoles a leurs chansons, les jeunes auront peut-etre plus facilement conscience de l'existence de ce type de chants dans le passe.

MV: Quels sont les differents instruments traditionnels mongols?

B: La plupart des instruments proviennent de Chine, introduits pour la plupart au XVeme siecle sous la dynastie Yuang. Pekin etait alors la capitale de l'Empire Mongol, et l'Empereur Kublai avait a disposition un grand orchestre de chambre comprenant de nombreux instruments chinois:
- le "yatga", une sorte de harpe traversiere posee sur la cuisse de l'instrumentiste.
- le "yochin" (yang chin en chinois), cythare qui se joue avec des baguettes.
- le "khuuchir" (erhu en chinois), instrument a deux cordes pose sur la cuisse gauche, l'archet se placant entre les deux cordes.
- le "shanz" (san xian), instrument a trois cordes joue avec un plectre, dont la caisse est recouverte de peau de serpent.
- le "limbe", flute traversiere.
En 1970, est cree un nouvel instrument au registre tres grave qui s'appelle le "ever buree" (ever = corne, buree = trompette), construit dans une corne de buffle. Le "bish khuur", autre intrument mongol, est une sorte de clarinette sans cle, au pavillon tres evase et au registre aigu. Enfin le morin khuur, instrument considere par les mongols comme embleme de leur pays, une viele a tete de cheval a deux cordes. Le morin khuur-contrebasse s'appelle le "ikh khuur". Le "morin khuur" a subi des changements considerables dans sa facture. Il descend du "ikel", un instrument creuse dans un tronc d'arbre et entoure d'une peau pour creer la caisse de resonnance. Les cordes sont en crin de cheval. Les tetes sculptees de l'instrument ont souvent change, empruntant les traits d'une tete de lion ou de dragon, pour se fixer finalement en tete de cheval, l'animal prefere et le grand compagnon des mongols (morin = cheval). Smirnoff, un luthier russe laureat des concours de lutherie Stradivarius au debut du XXeme siecle, a egalement apporte a l'instrument des changements qui ont ameliore ses possibilites accoustiques, s'inspirant de la facture de la famille du violon occidentale.
Ces 9 instruments reunis (chiffre qui porte chance en Mongolie) forment l'orchestre traditionnel mongol.

MV: La musique mongole est-elle connectee a la danse ou au theatre?

B: Biensur! On ne peut pas danser sans musique! Mais la musique existe aussi de facon completement independante. Ceci dit, aller voir un concert traditionnel mongol aujourd'hui signifie en fait assister a un spectacle presentant en plus de la musique des danses de differentes ethnies (des danses et musiques boudhistes, des danses chamanes) et des numeros de contorsion.

MV: Tu parles de musiques et de danses boudhistes pendant le concert. Est-ce que cette tradition etait autorisee pendant la periode communiste?

B: Non non! La periode communiste etait la periode de la nouveaute et du changement et toutes les traditions, tous les livres ou objets referrant au passe devaient etre detruits. Mais il y avait toujours des gens qui, n'acceptant pas cela, ont cache leurs instruments sous leur lit, leur livres boudhistes sous l'oreiller et grace a cela, tout n'a pas ete perdu.

MV: Au debut des annees 1990, lorsque le regime communiste a chute, j'imagine que toutes ces traditions sont revenues de maniere beaucoup plus forte?

B: Oui, biensur! Mais tout doucement, pas tout d'un coup. Les jeunes ne parvenaient pas a accepter ces musiques qui ne leur parlaient plus. Mais aujourd'hui, de plus en plus de jeunes s'interessent a la musique traditionnelle, ils s'apercoivent aussi qu'il est ridicule de pretendre devenir musicien professionnel dans le domaine de la musique occidentale alors qu'il y a des milliers d'autres musiciens qui jouent cette musique, et qu'il vaut beaucoup mieux pour eux devenir musicien traditionnel mongol!

Oulan-bator, le 25 octobre 2005.


NB: A ces mots, nous nous permettons de mentionner egalement la pratique du Khuumi, le chant diphonique mongol qui consiste a produire en chantant deux notes simultanement par la meme personne. Il existe plusieurs types de khuumi - tous impressionnants, entre autres le khuumi de louange de l'altai, le khuumi de priere des lamas... Sengedorj, un des grands maitres mongols en la matiere, a livre a nos micros des echantillions epoustouflants de cet art eprouvant et singulier.

Raphael et Nathalie.