11 mars, 2006




NOS MAMANS IRANIENNES - Le 9 mars 2006

Une route vagabonde comme celle que nous empruntons depuis notre depart est souvent teintee de solitude, meme si celle-ci est vecue a deux. Loin de nos familles et amis, nous manquons parfois de bras reconfortants, de lieux rassurants, et finalement d'une bonne soiree fou-rire autour d'un repas partage. Mais en Iran tout se passe autrement:

Nous sommes chouchoutes par une multitude de mains protectrices, maternage par procuration venant d'amis des parents de Raphael du temps de leur long sejour dans la capitale Iranienne.
Nous retrouvons un peu le confort du cocon familial grace a nos trois mamans iraniennes: Mina (haut), Marjan (milieu) et Chahla (bas).

Lors de notre sejour dans la capitale, nous passons d'un reconfort a un autre, d'une chambre d'amis a l'autre chambre d'enfant. Les soirees cinema chez les copines du quartier nous rappellent notre vie estudiantine passee, alors que les apres-midis piscine a discuter et rire de la vie nous reconstituent une petite sante physique et morale.
Plans de la ville, recherche d'ambassades, de magasins, explication du chemin, appels de taxis, petits coup de fils en farsi et petits cadeaux par-la, ... nous rendent la vie bien plus agreable.

A la maison, les plats se succedent et arrivent d'on ne sait quelle cuisine, on a meme pas le temps de se faire petit ou d'avancer sur la pointe des pieds qu'ils sont deja projettes sous la table, sans discussion!!! Les 4 mains font partie des divertissements quotidiens . L'integral de mozart y est passe!
Aux quatres coins de la journee, on croise ces memes recommandations inquietes et affectueuses: "les enfants!!!" l'instinct revient au gallop! ..."Faites attention en traversant la rue"..."ne mangez surtout pas du poulet par les temps qui courrent"..."ne rentrez pas trop tard a la maison"...

Finalement tout le monde y trouvera son compte!!

Nathalie.





SHARHIAR NAFISSI, UN MUSICIEN SOUFI - 9 mars 2006

Apres Sengedorj en Mongolie, Koyozan au Japon et Yilan au Yunnan, une autre rencontre forte de notre voyage est celle qui nous amene a connaitre Sharhiar, joueur de tanbour et de setar irannienne. Les deux visites que nous lui rendont dans son petit appartement du centre de Teheran nous laissent une marque determinante. "Mister Nafissi" a une voix grave et rapeuse lorsqu'il nous accueille chez lui lors de notre premiere visite. C'est quand il la mele aux sons du setar que sa voix s'envole subitement en prieres et incantations. Son regard se perd, ses yeux se ferment et la force de sa musique tend bientot a nous faire oublier les aspects trop materiels de notre tour du monde, les embouteillages et la pollution de Teheran, et finalement meme qui nous sommes...

C'est justement la que se situe le message de ce musicien, forme aupres de maitres soufis a travers le pays au cours d'un apprentissage traditionnel, demarche personnelle et solitaire ou il n'est surement pas question d'argent mais plutot de soumission totale au maitre qui vous fera peut-etre laver ses carreaux avant de vous faire (ou POUR vous faire) comprendre quelques secrets qui habitent la musique. Sharhiar nous distille quelques une de ces pensees, comme des perles de philosophie qui nous plongent coitement dans la reflexion. La pensee soufie (branche mystique et esoterique de l'islam) cherche a abolir la frontiere entre le materiel et le spirituel, de meme qu'elle cherche a abolir celle entre l'homme et Dieu. Apres quelques heures passees a discuter et jouer ensemble, voici le bilan:

-spirituellement parlant: nous ne sommes ni vieux ni jeunes, nous sommes la musique et la musique est nous. Le ney (flute droite iranienne, cf photo) est la voix, le chant de la nature, sa nature premiere. Le ney est donc la nature et nous sommes le ney. Nous sommes la nature et nous sommes le ney. Nous sommes tous le ney, si nous le croyons, si nous nous le voulons. Je suis le ney, Nathalie est un ney, vous etes un ney.

[a ce stade-la de mon texte, certains d'entre vous, inquiets face aux consequences de notre voyage sur notre etat psychique, doivent surement penser qu'il est temps maintenant que nous rentrions, la plaisanterie ayant assez dure. Je les comprend et ce point de vue semble egalement largement partage par les gens qui nous cotoient... le soleil tape parfois bien fort dans nos contrees, il est vrai]

-materiellement parlant: la generosite de Sharhiar est a la mesure de l'echange que nous avons vecu avec lui, et je repartirai de cette rencontre avec un magnifique daf sous le bras, n'en croyant pas mes yeux, alors que pour sa part, ma chere et tendre se verra offrir, a votre grande stupefaction et je vous le donne en mille, un ney! CQFD, je vous l'avais pourtant bien dit et vous ne m'avez pas cru, NATHALIE EST UN NEY.

Raphael.

NB: en partant, Sharhiar nous a dit avec un sourire malicieux que la prochaine fois, il nous dirait que le temps n'existe pas... Mais le temps nous manquait pour accueillir dignement cette reflexion...!



ACTIVITES MUSICALES A TEHERAN - 5 et 6 mars 2006
Legende des photos:
1 - concert chez le Conseiller culturel et l'Attachee culturelle
2 - animation a l'ecole francaise de Teheran
3 - Shiva et Parvati, embauches comme porte-instruments le temps d'un concert...

Vu de Chine ou d'Inde, l'etape iranienne s'annoncait malheureusement sans tambour ni trompette. L'ambassade de France ne s'etait a l'epoque pas manifestee, Teheran ne possede pas de centre culturel ni d'alliance francaise, et pour couronner le tout, notre sejour tombait en plein dans le mois de moharram, premier mois endeuille du calendrier lunaire des shi'ites (musulmans d'Iran), qui commemore la mort du martyre Hossein et interdit a ce titre toute fete ou manifestation culturelle publique... L'idee du concert etait donc enterree, et nous nous faisions finalement une raison de cette pause sans concert au milieu de notre tour, apres un sejour en Inde bien (trop!) charge sur ce plan.

Mais peu de temps avant notre arrivee a Teheran, de mysterieux reseaux obscures (et superpuissants) sont animes par la force magique du tour du monde, et jouent en notre faveur: le service culturel de l'Ambassade de France nous demande CDs et biographies.

Grande est notre surprise lors de notre premiere visite au service culturel lorsque nous apprenons qu'un clavecin dort au sous-sol, adosse a la bibliotheque. Je regarde Nathalie les yeux ecarquilles avant de nous rappeler que nous sommes bien en Iran, pays des mille et une nuits...

-"vous pensez eventuellement que je pourrais aller faire trois notes pour le tester?"
-"naturellement, on peut y aller de suite, suivez-moi"

Nous n'en revenons pas. La bete hibernait dans sa housse depuis plusieurs hivers sans doute, et semblait attendre qu'on vienne la reveiller, soumise et silencieuse. Je mele donc avec un plaisir non dissimule le son suave et sirupeux (je vous assure) du Bizzi au doux cliquetis des secretaires qui tapottent sur leurs claviers d'ordinateurs. Le plaisir semble partage et le choix de la date du concert - a condition qu'il soit prive - n'est plus qu'une formalite.

Je ne vous cacherai pas avoir passe un certain nombre d'heures pour rehausser l'epave, et avoir gagne quelques galons en la matiere. Accords et reaccords, taille ou remplacement des becs, reajustage des sautereaux a l'aide des vis de reglage (mes doigts cloqueux en portent encore la trace...), decollage et reglage des etouffoirs en feutre, c'est d'une formule integrale de remise en forme dont avait besoin ce pauvre clavecin egare en Asie centrale! Nous etions tellement heureux qu'il puisse finalement nous offrir en retour notre 'premiere' d'une sonate de Pedrini, importee de Pekin et qui attendait impatiemment dans nos sacs ce jour ou elle serait enfin revelee.

Le concert s'est conclus par un beau moment de musique offert par un joueur de tanbour irannien (instrument a cordes dont la forme et le long manche rappelle celle du setar), 'after' convivial et carrefour des civilisations ou se croisent plusieurs cultures et plusieurs epoques, sous l'oeil bienveillant et complice du couple Parvati-Shiva, ramenes d'Inde par Daniele Wozny et Vincent Grimaud (Atachee culturelle et Conseiller culturel) lors de leur derniere mission dans ce pays.

Deux mots en guise de conclusion sur notre passage a l'Ecole Francaise de Teheran, ou nous avons egalement fais sonner nos pipeaux et grelots, repondant a l'invitation de notre amie Chahla Ebrahimi, professeur de musique.
Les questions a l'issue de notre "la flute a bec au fil du temps" sont diverses et variees:
-"moi mon pere il fait de la guitare depuis 20 ans"
-"moi je suis italienne"
-"pourquoi avez-vous choisi la flute a bec???"

Nous avons fait notre possible pour repondre a ces questions, puis mettre fin a cette presentation dont le clou du spectacle qui a concquis le coeur de notre jeune auditoire fut sans conteste le piano mou en caoutchouc ramene du Japon. Alors que je brandis l'engin nippon, un eleve japonais se sent soudainement pousse des ailes et se leve droit comme un I, tout gonfle par la fierte nationale et par la floppee d'applaudissements provenant de ses camarades amuses.
Je me suis permis de mentionne que cette merveille technologique etait fabriquee en Chine, comme beaucoup d'autres merveilles technologiques japonaise d'ailleurs. Il s'est vite rassis, cedant la gloire et les applaudissement a son camarade chinois, tout etonne de cette gloire inesperee!
Raphael.


LA FACE CACHEE DU TOUR DU MONDE - fevrier 2006

Apres vous avoir fait rever avec nos plus belles photos et en vous relatant nos plus folles aventures, nous vous devons desormais de restituer la part de verite de notre quotidien...
Notre tour du monde est un veritable calvaire!!

Les deracinements...de plus en plus douloureux!! Comme un greffon dont nous rejetons souvent la presence, notre capacite d'adaptation et d'assimilation a deja atteint des seuils d'extreme saturation nous projettant dans de longues heures de deprime. Mais qui sommes nous, d'ou venons nous? Points minuscules en face d'un gouffre, sans question ni reponse, depourvus d'odeurs et de couleurs, sans le moindre repere, la ou la vie ne sonne plus que comme une pure illusion



Les toilettes... ces coquines nous infligent la plupart du temps des souffrances enormes lorsqu'elles font defaut!! Les designs varient suivant les regions: lunette chauffante, jet nettoyant et sechage a temperature ambiante pour le Japon ou alors "trou a merde" attirant une multitude de mouches moches et collantes avec en bonus une odeur pestilentielle pour la Chine! Les coutumes ne sont pas toujours faciles a integrer: en Inde, il suffit de s'accroupir dans le canivaux en se cachant dans les multiples plis de son sari alors qu'en Mongolie c'est encore plus simple, il semblerait que le "pudique" n'ait pas encore atteint cette contree du globe: c'est tout le monde la fesse a l'air. Je n'ai pas encore parle du jet d'eau qui remplace le papier en Inde et en Iran, c'est effectivement tres ecologique pour ceux qui aiment rester avec l'arriere train mouille toute la journee! Les voyages en bus sont notre pire calvaire car les pauses sont rarissimes et souvent dans les endroits les plus incongrus (cf photo ci-dessus).


Les maux...petites douleurs furtives, fievres passageres, crampes aigues, orgelets et gersures... Manque d'hygiene et fatigue, chaleurs extremes et froids glaciaux, secheresse et humidite...cycles sans reperes et inconfort de l'inconnu. Maux de tete lancinants, sournois, stridents, agressants, nerveux... Angoisse... Acne post-juvenile, reflet des lourds fardeaux que l'on porte! Somatisations de l'inconscient en derive. Le corps s'exprime dans tous ses eclats! A defaut de confort, seul l'esprit qui se renforce nous guide.


La pollution, le bruit...agressions de notre temps. Le monde s'agite, s'accelere et nous echappe completement. L'homme est incapable d'integrer la vitesse a laquelle il evolue. C'est affolant, vertigineux. Quand seulement les ames se rencontrent au millieu de cette pagaille, la terre retrouve un petit lopin fertile. Quel combat de devenir qulequ'un, un citoyen du monde!

Langues.... musiques fascinantes porteuses des sons de chaque culture mais aussi barrieres de l'echange, sources d'incomprehension, risques de superficialite... Les mots sont de petites parcelles qui nous relient, un instant, deux instants, trois instants jusqu'a ce que les differences ou l'ignorance nous fassent reculer... Irritation, agacement, rejet... Il n'y a pas qu'une seule pensee, plusieurs verites, aucune egalite! Difficile a accepter!


Les sacs... mon dieu, j aimerais ne plus en entendre parler! Cela fait 6 mois que nous croulons quotidiennement sous leur poids non negligeable. Je n'omettrai pas de parler de leur contenu qui m'horripile encore plus a vrai dire. Memes chausettes, memes pantalons, memes culottes et memes chemises dont l'aspect se deteriore considerablement au fil des jours! Sentiment d'etre prisonniers dans nos haillons... La trousse de secours s'allege pour le plus grand bonheur de Raphael et deviens un fourbi de melange de tablettes et de poudres de medicaments concasses. Les instruments de musique se fissurent souffrant des climats trop extremes. Tous ces petits objets, devenus trop familiers, jonchent la plupart du temps le parterre de nos chambres sans trop de preocupation decorative.
Tiens, les chambres, parlons-en!!!!! Qui donc aurait un souci d'amenagement interieur alors que les murs s'ecaillent en laissant tomber des bouts de platrats sur les tapis empoussieres qui ont tous vire au noir au fil des annees. Les rideaux de grand mere desuets n'ont d'egale que les naperons denteles en plastique qui ornent les tables de nuits rouillees. Sans oublier la presence de petits animaux de compagnie (jusqu ici: rats et autres rongeurs, cafards, araignees poilues, moustiques en hordes, cameleons oui oui). Heureusement les lessives a la main nous fournissent quelques banderoles multicolores qui apportent a nos chambres un charme sympathique de fete et de bonne humeur.


Etres humains...nous ne naissons pas egaux !! Classes sans noms et corps meurtris sans forme. L'identite s'echappe et disparait comme un vieu dechet. La dignite n'existe plus et la survie est tout ce qu'il reste... Rejet de la normalite... Des regards de l'enfance versent des larmes de detresse, d'incomprehension, de supplication! L'oppulence pose son posterieur gigantesque en niant totalement ceux qu'elle est en train d'etouffer.
Contrastes, contraires, extremes d'une violence revoltante.
Il existe pourtant une voie et existance mediane mais plus rare et precieuse, porteuse d'equilibre et de moderation, de recul et de reflexion, peut etre parfois d'oubli de soi... Ahhh... si nous pouvions etre fidele a ce petit sentier sans etre sans cesse eblouis par les reflets miroitants de la tentation.

Nathalie.